vendredi 13 juillet 2007

Hier j’ai reçu deux emails de recherche de voix et un de trouvage de clés. Le dernier, je sais pas s’il a été résolu mais j’y ai pas prêté trop attention, vu que mon porte-clés en arêtes de poisson (pas un collage de centre aéré, mais comme un poisson déjà mangé ) était là tout bien posé sur mon bel agenda de prof organisé.

Mais les emails de recherche de voix, ça m’a plus interpellée. J’aime bien l’idée. Autant le don de sang, je fais autant que je peux mais depuis qu’une infirmière nous avait sorti, à la fac : « si vous vous êtes mouchés ces trois derniers mois, on peut pas prendre le risque de donner votre sang à quelqu’un » en nous faisant des vilains gros yeux, moi qui suis connue pour faire comme les mamies, vivre été comme hiver avec un mouchoir dans ma manche, ça a réduit mes perspectives de don.
Il est possible, je le conçois bien, qu’elle nous ait menti, mais vous auriez vu l’infirmière, vous aussi vous y songeriez à deux fois. Que le don de voix, je vois po de risque. A priori, j’ai plein de choses qui foirent, le coté droit de moi-même est pourri. On m’a greffé un œil de taupe en guise d’œil droit, Carlos et Monica Bellucci, si je ferme l’œil gauche, c’est des jumeaux. L’oreille droite, j’entends mal, rien d’abominaffreux mais mal.
Me suis cassé le bras droit à 3 ans, j’ai menti au docteur qui me disait « mal – pas mal ? » en replaçant mon bras pour poser le plâtre, en me disant « si je dis que j’ai jamais mal, ptêt y va pas me mettre de plâtre », résultat j’ai eu un plâtre sur un bras mal replacé et j’ai le bras tordu, et ce parce que, m’étant cassé le pied droit à 1 an et demi, on m’avait collé un plâtre qui faisait presque mon poids (j’étais maigre, avec une grosse tête rousse, je sais pas pourquoi mes parents m’ont gardée, la pitié, peut-être) et j’avais pas aimé, donc voulu éviter. Raté.
Et pis j’ai la jambe droite plus longue que la gauche, là c’est vrai c’est du parti pris, je pourrais dire que c’est la gauche qui est plus petite et donc sauver mon côté droit, mais pas envie.Mais ma voix, ptêt pasque la voix, ça a pas de côté, ben elle est relativement pas pourrie. Mis à part quand je chante mais c’est résolu, je chante pu.

Donc je me suis dis que je pouvais contribuer et que ça valait la peine de lire en détail. Le premier mail j’ai été déçue : un bureau de traduction qui cherchait des locuteurs natifs pour faire des enregistrements de travail, mais critère requis : être un homme. Là, à part si je me chope une bonne crève de celles qui me valent, une fois par décennie, de faire passer Fanny Ardant pour un castra, ça va être chaud.Tant pis. Le deuxième : « recherche une voix française (je vis en NZ, hein, sinon ça serait louche de préciser) féminine (jusque là tout va bien) pour doubler la voix principale d’un film sur une légende maorie. Auditions non rémunérées, jeudi après-midi. Doublage : 90 dollars/heure »Ben dis donc, c’est que c’est sympathique ça.

Pis avec un démarrage aussi fulgurant que le mien pour ce qui est des cours de maori, je sens que j’ai déjà un lien assez intense avec la culture. En plus, ma vie est limite banale en ce moment, vraiment, si j’y mets pas un peu du mien, je risque de vivre normalement et je sais pas si je suis prête…Donc j’appelle, je tombe sur Hervé, un mec que je connais un peu, Wellington est petit comme un slip de poche, et hop, rdv jeudi à 15h30. J’en apprends un peu plus que c’est pour faire la voix off d’un documentaire sur les origines de Rotorua, région chauffée naturellement par des volcans, et que va y avoir quelques termes maoris dans le tas, mais que je stresse pas trop pour la prononciation.

Boh alors là. Je stressais un peu pour mon premier cours de maori, connais personne nia nia nia, ben quand je vois ce qu’il s’est passé, autant que j’arrête de m’en faire. Donc voilà. Le soir je raconte ça à mes colocs. Pour eux l’idée de base c’est que c’est sexy d’être française donc leur première idée de ce que je pouvais doubler, c’était des pubs de téléphone rose, forcément, le fait que parler français quand on est française ne soit pas aussi sexy que parler anglais quand on est français leur échappe un peu. Je savais moi-même pas trop ce en quoi consistait le documentaire (« j’aurais le script avant l’audition ? » « boh tu sais, ça va être simple » oui pis je suis bien bien calée en légende maorie, ça va aller tout seul, très seul) donc j’ai même pas tenté de contredire.

A vrai dire, la maison de production du documentaire est au dessus du club de strip-tease où bosse l’ex de mon coloc, alors pourquoi pas se spécialiser dans des pubs de cul quand on a tout le matos au rez-de-chaussée.Mais bon. Je verrais bien quand j’y serai.

Ça y est, j’y suis. En avance, tiens, comme d’hab si on me colle pas un changement d’heure fourbe, donc du coup le mec que je connais est po là. Une phrase que j’aurais jamais cru dire « Bonjour, je viens pour l’audition… » « ok, tu as le script ? » Ah. Je savais bien que y avait un script. « Non, j’ai eu que des entretiens téléphoniques hier » ça complique vachement pour faire passer des documents papier. « Bon ben tiens, tu as qu’à le lire en attendant Hervé ! » Eh bien Hervé, mon ami, prends ton temps.
Allez, je perds pas le mien, je prends mon petit crayon et hop, lecture, soulignage, repérage de ces ptits mots maoris, tout ça tout ça.Bon, alors, pouce, phrase d’entrée je bloque. Au téléphone, j’avais demandé s’il s’agissait bien d’une voix off, pas d’un doublage d’acteur, paske si j’ai jamais eu de dîner de travail avec Eddy Murphy ou Patrick Timsit, c’est pas que un hasard, c’est essentiellement parce qu’on fait po le même métier. Ok, je passe mes journées à parler sur tous les tons à mes étudiants, à leur lire des textes en mettant le ton histoire de récupérer ceux qui cuvent de la fête de la veille, mais quand il s’agit de leur montrer « L’âge de glace » en version français, je préfère faire le réglage dvd que doubler moi-même.« Nan, nan, t’inquiètes pas, c’est juste voix off, a po d’acteur, no soucy ». Ne croyez pas Ophelie.

Première phrase : « Maitrisé ? Ha ! vous plaisantez… Venez voir par ici ! Allez-y… »Ca ressemble à une voix off de documentaire ça ? Normalement, une voix off de documentaire, ça dit « La loutre chauve, petit animal très complexé, ne sort qu’à la tombée de la nuit les jours d’éclipse » avec un ton feutré pour pas réveiller les gens qui dorment devant leur télé à 2h du mat’. Ça c’est de la voix-off, mais ça n’interpelle pas ironiquement le téléspectateur avec éclat de rire à la clé !
Pfff… on ne se laisse pas abattre, on continue, trouver les mots maoris, c’est mon seul but.

Alors Aotearoa, facile, c’est le lexique de base, ça veut dire Nouvelle-Zélande, je le savais pas en arrivant, tout le monde a eu l’air poutré, mais maintenant je maîtrise. Te Awara, la tribu du coin, ok, ça va.
Mais.
Ngatoroirangi. Je cite « ne stresse pas pour la prononciation, ça va être facile ». Ca, selon les normes de qui c’est facile ? Bourrée je dis pas, mais là, à jeun, je freine un peu devant l’obstacle. Un souvenir d’une galère avec un chauffeur de taxi à qui je demandais de me conduire à Ngaio, n-g-a-yo, dans une incompréhension totale, m’a fait trouver que le g se prononce pas. Reste quand même Natoroirani. Facile. Bon, on parcourt le reste du texte, il est 4 fois dans le texte, ça me laisse soit des chances de progresser et d’avoir bon si on me laisse finir, soit 3 chances supplémentaires de me planter.

Oh ben un autre bien : paragraphe 18 : Whakarewarewa. Ca n’a l’air de rien, mais sachant que le r maori se roule, et que moi, sais po rouler les r, ben un mot comme ça, ça vous colle une gouttière de sueur dans le dos en deux temps trois mouvements. Oh tiens Hervé. Salut, na va ? ben oui, na va bien et toi ? Oh Ngatoroirangi et Whakarewarewa mis à part, ça roule.

Sur ce, le directeur de prod nous fait signe qu’on y va, donc on y va. Avant que je me mette à lire, sans savoir par quel bout prendre ma phrase d’entrée, y m’ont demandé si je voulais voir le film en question, le début, ben oui tiens justement le début, pour avoir une idée de ce qu’on attendait de moi… Pas contre…
Hop, générique. Et là, je rebloque. Ok, la personne qui s’agite en anglais dans l’écran porte quelque chose proche de la jupe et a les cheveux longs, mais qu’on ne me prenne pas pour un lapin de 6 semaines, cette personne est un homme. Et même un homme connu, Temuera Morrison.

Je suis sensée doubler cet homme ? Hmmm, sexy, en effet… Ne rien dire, ne pas sourire, le boulot n’est pas fait. « C’est bon tu te sens prête ? » A doubler un homme en utilisant des mots interminables dans une langue que je ne connais pas ? Oui, toujours !« Bon alors go ! »

Et c’est parti ! On tremble pas comme à son premier exposé de sixième, on suit po le texte avec son doigt et on fait comme si être un maori en jupe était une seconde nature. On lit… et on lit… et on lit encore… Quand est-ce que tu dis « Pouce ! » monsieur ?? Aïe aïe aïe, le grand plongeon de 21 syllabes approche, arrête-moi arrête-moi, non ? bon, on inspire à fond et on saute ! « Ngatoroirangi » « Yeeeeaaaaaaaaaaah ! » Wow ! tu es un petit producteur en taille mais tu as un « Yeah » à faire peur au Roi Lion. Ca veut dire quoi ? « ok, merci, alors est-ce qu’on a le courage de prendre une décision tout de suite ? » Heu, j’ai l’impression d’être à la Nouvelle Star et je sais pas encore si Manu Katché va me balancer une vanne qui déchire son short. « Eh ben moi je vote pour Anne !!! » « Ouais, aussi ! »

Donc là, c’est le moment où je dois mettre les mains façon cœur croisé et faire la même tête que si je retrouvais mes parents après 3 mois de prise d’otage ? En balbutiant « merci et j’adore ce que vous faites » ? On va s’arrêter à « merci ! » Pis on a fait tope-la, donc je peux poser la question qui me gratouille le bout des bois depuis le début : « et pourquoi vous avez choisi une voix de femme ? » « ah, ça c’est pasque jamais on aurait trouvé un homme qui pourrait doubler de manière naturelle quelqu’un avec le charisme (note pour moi-même, en anglais « pagne » doit se dire « charisme » ) de cet acteur, donc on s’est dit 'autant faire dans le grand contraste' tu vois ? »

Oui, ça je te confirme, de là où je suis, le contraste entre le grand maori des bois et le petit renne de jardin, il est bien dans ma face.

Donc voilà, c’est le deal, je suis la voix off officielle d’un chef de tribu maori. J’en sais maintenant un peu plus sur le film, c’est un film pour cinéma dynamique, avec les sièges qui bougent et tout, le vent dans tes cheveux, Ze attraction du musée de Rotorua. Tous les touristes français mesurant plus d’1m05, non enceintes, non cardiaques, et aimant se faire secouer l’arrière train par rangée de douze en se cultivant sur les volcans, vont entendre ma voix leur expliquer la vie et les croyances de mes ancêtres les maoris. J’adore.

J’adore aussi que mercredi qui vient, je vais enregistrer le texte dans les studios de Peter Jackson. Si vous savez po qui sait, m’en fous, je vous cause pu.

Pfff, même pas vrai, pasque si rien que l’audition ça vaut trois pages sur Word (ouais ouais), je parierais pas sur le calme absolument pendant une matinée de studio d’enregistrement. (Qu’est-ce que t’en sais, grognasse, t’y as jamais été ? Pas faux… mais quand même. Comme dirait Hélène Ségara, je ne cherche pas les [emmerdes], je m’y attends. (Elle dit pas exactement ça, cf. les [], mais j’ai eu cette phrase niaise comme une répartie d’Eve Angélie depuis deux jours dans la tête, j’espère m’en débarrasser comme ça, voilà, c’est pour vous).

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